Henri Meschonnic, poète, traducteur et linguiste, est mort le 8 avril. Il avait 76 ans et laisse une œuvre littéraire imposante. Homme chaleureux, il était aussi engagé dans son travail poétique que dans ses essais souvent polémiques, ou dans son enseignement à l’université de Vincennes, dont il fut l’un des fondateurs.

A Vincennes, justement, Meschonnic, qui était un ami du linguiste Benveniste et enseignait la linguistique, choisit d’intégrer le département de littérature. Le cas de figure était inédit, mais il s’agissait, pour lui, d’entamer sa «sortie» du structuralisme. Car, contre les théories de la signification, Meschonnic fut l’homme d’une idée : dans une langue, ce qui fait sens, ce qui permet à chacun d’y trouver sa vérité, c’est le rythme (c’est-à-dire la poésie, l’écriture…). Le rythme est l’espace où la langue, soumise aux lois sociales et grammaticales, offre un espace de liberté au «sujet parlant». «Le point faible des théories du langage, donc des théories de la société, est le poème, écrit-il dans la Rime et la Vie. L’écriture est ce qui advient quand quelque chose se fait dans le langage par un sujet et qui ne s’était jamais fait ainsi jusque-là. […] Elle commence où s’arrête le savoir», ajoute-t-il plus loin.

Hébraïque. Engagée en 1972 avec Dédicaces proverbes, qui obtint le prix Max-Jacob, son œuvre poétique compte une quinzaine de recueils. Mais c’est surtout par ses traductions de l’Ancien Testament qu’il aura été connu du public. Ayant appris l’hébreu en autodidacte pendant la guerre d’Algérie, il y découvre la place essentielle des notations rythmiques des versions originelles, notations que les traductions existantes passent entièrement sous silence.

En 1970, pour les Cinq Rouleaux, traduction de plusieurs textes bibliques, dont le Cantique des cantiques, il met au point un nouveau type de transcription, avec des espaces blancs pour indiquer les pauses rythmiques spécifiées par le texte hébraïque. D’autres traductions suivront. «Celles des psaumes sont les plus stupéfiantes que je connaisse, témoigne le linguiste Pierre Encrevé, parce qu’elles gardent l’ordre du texte et le phrasé hébraïques tout en restant dans un français parfait. C’est troublant et très intéressant» . Plusieurs de ses traductions ont été adaptées au théâtre.

Juif d’origine polonaise, contraint de se réfugier en zone libre à l’âge de 12 ans, Meschonnic a également mené une bataille véhémente contre Heidegger, dont il jugeait la pensée et la langue inséparables de son engagement nazi. Dans le langage Heidegger, paru en 1990, il pointe les tics qu’un courant de la philosophie française, autour de Derrida, aurait emprunté au philosophe allemand.

«Douleur». D’autres inimitiés, à commencer par celle du poète Michel Deguy, lui sont venues de ses virulentes attaques contre la poésie française contemporaine. Enfin, il fut un critique sévère du français, de sa supposée «clarté» et de son centralisme. En 1999, dans Libération, à propos de la Charte européenne des langues régionales, tout en rendant hommage aux instituteurs de la IIIe République, il suggérait au Président de «faire à l’égard des Bretons ce qu’il a fait pour les Juifs à Vichy pour permettre le travail de deuil. On mesure mal la douleur transmise depuis deux siècles chez les Bretons».